Il est loin le temps où nous formions les gens à comprendre un métier et à devenir un bon professionnel. Comment faisaient-ils autrefois pour apprendre un métier, pour le ressentir et en connaître toutes les arcanes? Je vous parle des métiers manuels, de ceux qui nécessitent des mois, des années pour aider les mains à exécuter des gestes, sans même y réfléchir. Avant l’homme était ingénieux. Il était capable de fabriquer ses propres outils. Un menuisier, apprenait son métier avec un maillet et un couteau à bois. Il devait durant des heures et des heures reproduire les bons gestes, ceux qui donneraient un jour à force de travail, d’acharnement et d’abnégation, la vie à une armoire, une table, un magnifique secrétaire. Jamais l’élève ne poursuivait son apprentissage, tant que l’exercice qu’il était en train de réaliser ne semble pas “parfait” au maître qui le formait. La formation se faisait de génération en génération, le père apprenait au fils, l’oncle au neveu ou l’ami au fils de son ami. Les gamins d’autrefois, quittaient le nid, souvent très tôt pour partir se former. Les premières années, ils étaient les larbins, les nettoyeurs, la main d’oeuvre peu qualifiée qui balayait. Surtout, il n’y avait pas d’ingérence des parents. Le jeune était livré aux mains du maître d’apprentissage, qui le formait et en qui on avait confiance. Aujourd’hui, on est plus dans la méfiance! Il n’y avait pas d’alternance, d’écoles à proprement parlé. C’était un enseignement héréditaire, les paysans, les boulangers, les menuisiers se transmettaient le savoir de génération en génération. Je discutais un jour avec le fils du frère de mon arrière grand père, vous suivez, dont le père, Paul, était boulanger à son compte. A 14 ans, il portait des sacs de 100 kg. Vous dire qu’on ne les épargnait pas! Comme chaque époque, il y avait de l’abus, des inconséquences, des injustices même. Les jeunes d’autrefois étaient courageux et surtout ils comprenaient qu’ils devaient faire leur part pour aider la famille et le fait d’apprendre un métier le plus tôt possible permettait qu’ils soient autonomes ou du moins qu’ils ne soient plus une charge. L’enseignement prenait des mois, des années, une bonne décennies. Le décalage! Aujourd’hui, vous êtes maître d’apprentissage. Vous avez les parents sur le dos, l’école qui vous explique un programme, une sorte de suivi et surtout l’administration qui vous surveille, qui crée des normes, de sécurité, heureusement, mais parfois débiles. Pire, et c’est ça le pire, c’est à vous de motiver le gosse! Prenons mon cas. Déjà, je suis fils d’éleveur, de producteur de lait. Autant vous dire que je connais les contraintes liées aux animaux. Nourriture, eau et curage, propreté. J’en ai bouffé des heures à curer la merde, à trimballer des seaux d’eau et à apporter du foin. Nous revenions de l’école, avec mon frère, mon cadet de 11 mois à peine, nous nous changions “en sale”, habit qui tenait debout tout seul (!) et nous allions aider notre père. Puis, j’ai quitté la ferme pour partir en apprentissage. C’était pour une mauvaise raison. J’en avais marre de l’école. J’aimais les chiens, après avoir aimé les chevaux et après avoir passé des heures à les curer! Je suis tombé dans une sorte d’élevage usine. On bossait plus de 60 heures par semaine, dimanche compris. Je dormais sur place et je gagnais 800 francs par mois, moins le loyer et la bouffe. Autant dire qu’il ne restait pas grand chose. Je me rappelle d’être resté deux mois consécutifs, sans interruption. Pas de regret. Ces gens ont fait de moi, ce que je suis. C’était pas facile, parfois dur, mais c’était comme ça! J’étais très motivé. Le temps qui me restait, je le passais à lire.Aujourd’hui, les gamins comptent leurs heures parfois à la minute, vous dictes leurs conditions et quand “rien ne va plus”, vous avez les parents sur le dos. Bientôt vos gosses, plus personnes n’en voudra. Je pourrais vous raconter un paquet d’anecdotes. Le vendredi, ils se cassent, le portable à la main, sans se demander si les chiens de l’élevage vont continuer à bouffer. Bien sûr qu’ils continuent à bouffer et bien sûr qu’on ne compte pas sur eux! Si le maître de stage est malade, blessé, croyez-vous qu’ils vous demande si vous avez besoin d’eux! Franchement, ils s’en foutent. Vous me direz pas tous, évidemment. J’ai envie de dire heureusement. Il y aura de futurs professionnels qui tiendront la route, mais de moins en moins. Aujourd’hui, je peux vous dire que je vois la différence entre un pur rural, fils d’éleveur et un jeune qui vient de la ville. Même si j’ai connu des jeunes citadins impressionnants. La vérité, c’est que le monde du chien n’est plus une vocation, une envie qui germe au fond de vous, mais une voie de garage, pour l’adolescent, dont on ne sait plus quoi foutre! “Il a toujours aimé les animaux” L’école est devenu une garderie. Nos gamins aujourd’hui sont gâtés, surprotégés, la plupart analphabètes. Ils ne lisent plus ou des conneries sur Facebook! Aucun esprit critique, aucune curiosité intellectuelle. Ils gobent sans chercher toutes les conneries que nous pourrions leur apprendre et que nous leur apprenons d’ailleurs. On les formatent à la médiocrité. L’autre jour, je fais une intervention à la MF de Semur. Je rentre dans la salle. Ils ont le droit de ramener leur chien. Les chiens sont en vrac, dans la salle, livrés à eux-mêmes. La plupart des gamins sont avachis, vautrés sur leur chaise. Un bordel incommensurable tout autour d’eux. Certains réagissent à mon entrée, se redressent un peu. Un élève bouffe son chewing gum comme un américain, sûr de lui. Comment pouvais-je commencer mon cours par autre chose que “vous êtes des branleurs”! Et bien au lieu de reprendre une stature d’élèves, de se remotiver, de se dire “nous verrons qui est le branleur”, ils ont continué à faire la gueule. Je leur demande s’ils certains se sont renseignés sur le cours que nous allons voir. “Euh non, puisque vous allez nous faire le cours”. Ok. Je leur apprend qu’internet existe! Je suis sûr que j’aurais pu leur apprendre n’importe qu’elle connerie, comme leur dire que la zoophilie est thérapeutique dans certaines maisons de retraite, certains y auraient cru. Voilà le monde dans lequel nous vivons. Voilà les futurs pros! Je suis désolé les parents, mais beaucoup de vos enfants ne feront jamais rien. Et arrêtez de vous en prendre aux écoles, aux enseignants, au système, commencez à remotiver vos gniards et leur couper les jeux vidéos, la télévision et offrez-leur des livres. Et arrêtez de dire: “Oui, mais je travaille beaucoup, on a pas le temps d’être tout le temps derrière eux”! Fallait pas les faire. Ils ont besoin de vous, pas d’Hanouna à la télévision! Suite à mon intervention, c’est la cabale contre Girardet. Il parait que je suis un gros con. C’est vrai, je le revendique. Dans tout le lot, une élève, qui voit que, peut-être je pourrais lui apprendre quelque chose et que je ne suis peut-être pas le connard du premier abord, mais un homme qui craint pour l’avenir de sa profession, du monde tout court, me demande si je prends des apprentis. Elle me dit texto. Je vous jure: “Bon, franchement (déjà je tend l’oreille, elle veut me parler franchement, c’est rare), au premier abord, je pensais que vous étiez un vrai con (faut oser, je souris), mais vous dites des choses intéressantes, j’aimerais creuser! Sur la trentaine de petits branleurs, une seule était allée au delà de mes premiers mots, une seule ne s’est pas arrêté sur le mot, mais sur le pourquoi je l’avais prononcé. Les autres. Certains sont allés se plaindre chez leur parents, aux professeur. Ils n’ont pas admis que l’on puisse les égratigner! Ils sont narcissiques, prétentieux, paresseux, égocentristes ( ça promets, on en manque un peu dans notre métier) et dépendants de la surprotection des parents, qui voient en leur enfant la 8ème merveille du monde, quand je ne vois que des zombies analphabètes. Ils n’ont même pas vingt ans, qu’ils savent déjà tout!!! J’ai reçu la jeune et j’ai passé une semaine passionnante en me disant qu’il y avait de l’espoir, tant qu’il y aura des jeunes comme elle. Merci à ses parents de l’avoir bien élevé. Quand après 5 jours, elle vous dit qu’elle en a plus appris à mes côtés, qu’en deux ans et demi de formation, pas sur la technique, la théorie, mais sur l’essentiel de “pourquoi on fait ce métier”, ça rassure et ça me terrorise! L’école reste quand même un socle indispensable et je pense que Semur reste une bonne école. Ils font ce qu’ils peuvent et ce n’est pas facile. Mais on pourrait aller plus loin et mieux. Je suis d’accord que le rôle de l’école est de cristalliser la passion des jeunes, de la renforcer. Mais jamais l’école a le devoir de motiver le jeune. La motivation, ça ne se construit pas à l’école, mais avant. D’ailleurs le jeune va à l’école car il est motivé. Sa motivation lui permettra de creuser, de s’intéresser et de travailler, même quand c’est dur. En stage, peu sont réellement motivés, dans le sens que je l’entends et par rapport à ce que j’étais. Tous ceux que je vais garder assez longtemps passe un test à leur insu. Sur l’ensemble de mes chiens, j’ôte une gamelle d’eau. Je dis au jeune, “nettoies le boxe et occupes-toi de cette partie là. Les chiens ont mangé”. 50% de ceux que j’ai reçu ne remarquent pas l’absence de gamelle d’eau ou s’ils le remarquent, ne parlent pas, ne questionnent pas. Ca m’a toujours sidéré. Aucun d’eux n’a un carnet sur lui pour prendre des notes. Jamais, c’est arrivé. Ils ont une bonne mémoire!! Pour finir, sur ce premier volet, je sais ce que vous vous dites: “Quel connard ce mec”. Vous pensez que je n’aime pas les jeunes. Vous avez tort. C’est les parents qui m’énervent, qui font de leur gosse des gâtés sans jamais qu’il le mérite. Nous sommes, moi y compris, je suis moi-aussi parent, en train de former des futurs “approximatifs”, des professionnels limités, spécialisés, très spécialisés, qui ne sortent pas de leur microcosme. Prenons le cas de mon jeune apprentis. Je lui dit qu’il devrait s’intéresser à la chasse, enfin au travail du chien de chasse: “Ca ne m’intéresse pas”. Comment-peut-on-vouloir-devenir-un professionnel du chien, sans jamais aller ressentir, observer dans une démarche constructive l’un des instincts le plus fort, celui de la prédation? C’est comme ça qu’aujourd’hui, on arrive à se convaincre qu’un chien peut-être végan, “En occultant”. Comment peut-on même devenir éducateur canin, sans jamais être allé suivre une menée dans les bois, voir l’instinct de prédation en pleine action, qui sera à lui seul, responsable de bien des problèmes? Je rappelle que le chien est un prédateur. Et je ne milite pas pour la chasse, mais pour le travail du chien qui chasse. C’est parce que le chien est un ensemble que l’on ne peut le réduire à une spécialité. Les jeunes doivent être formés, mais doivent surtout allé voir ailleurs, se documenter, vivre d’autres expériences. Si je prends mon exemple, certains livres, qui n’ont rien à voir avec le chien, m’inspirent plus pour mon métier et comment le mener aujourd’hui que ceux qui ne parlent que de chiens. A la MF, il ont mon bouquin en libre service. j’aimerais savoir combien ne l’ont même que feuilleté? La vérité, c’est que nos métiers ne sont pas pris au sérieux. Ils font partis de l’économie. A ce propos, ce matin, je m’en suis pris aux jeunes, mais que dire des formations adultes? Ce sera le deuxième volet: “l’élevage de stagiaires”. Bonne journée. Etienne Girardet
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