Je viens de faire une découverte, de me rendre compte qu’au final, peu aimaient les chiens. J’ai toujours pensé que c’était justement l’affection que nous leur portions, qui nous poussait à déraper parfois ! Je l’ai donc admis comme une sorte de « jeu obscur » où les règles étaient simples, comme au ping-pong, il suffisait de renvoyer la balle, « smasher » pour contre-argumenter ou lifter pour déstabiliser ! Facile, il faut juste passer au dessus du filet ! Sauf que, si je creuse ma métaphore, le filet représente les maîtres, ceux que nous pourrions aider. A chaque balle manquée, c’est le filet qui ramasse. Un coup dans le ventre, le cœur ou l’esprit ! Et ceux que nous déstabilisons n’est pas l’imbécile, l’adversaire, tout du moins le pensons-nous autant que lui le pense de nous, là-dessus nous sommes d’accord, mais les maîtres, qui impuissants subissent nos échanges !
Nous sommes incapables de maturité, de recul et d’argumenter en toute honnêteté. Nous sommes susceptibles, égoïstes, pour ne pas dire égocentristes. Nous ne cherchons pas à défendre le chien, sa place dans la société et proposer des solutions pour l’améliorer ! Non, nous cherchons à briller, à juste briller. Le chien n’est pas notre cause, mais notre faire-valoir, l’instrument de notre arrogance, la victime collatérale de celle-ci ! Bref, si je résume mon introduction, nous sommes devenus des « gros connards » !
Pouvons-nous changer ? Franchement, honnêtement, j’en doute ! Je crois que l’homme est inconséquent, menteur, hypocrite, intéressé et ambitieux et qu’il est prêt à se renier à la moindre occasion qui se présentera pour s’enrichir, se mettre en valeur.
– Il n’y a pas d’espoir alors ?
– Si ! Heureusement. Nos enfants, les jeunes.
Je vais bientôt entrer dans ma 45ème année. Pour les jeunes, pour la génération montante, je suis un vieux con ou j’en aurais prochainement le titre. Mais je compense psychologiquement en croyant que ceux qui nous poussent vers la sortie, sont eux, de jeunes cons. Ça équilibre ! Que ce soit la guerre intergénérationnelle, que ce soit la guerre professionnelle, elles ont des conséquences qui laisseront des stigmates dans toutes les strates de la société. Et qui, en ce qui nous concerne, désintéresseront les maîtres potentiels, ceux qui auraient pu prendre un chien et qui prendront un chat à la place, parce qu’ils n’y comprennent plus rien. Le statut du chien a évolué. C’est devenu un doudou pour adulte, un esclave affectif, qui a le rôle de compenser l’individualisme humain. Nous sommes bien souvent seuls, mais moins, près de notre chien. Alors si le chien devient un problème, un emmerdement supplémentaire, qu’il n’a plus le rôle auquel on le destine, celui d’être apaisant, de permettre de sortir, d’exister, de ne plus être seul, les gens s’en détourneront inévitablement, indubitablement. Attention, je ne dis pas que le statut de doudou pour adulte me plait. Que l’évolution du chien, le virage sur lequel il s’est engagé est la bonne voie. Non seulement je ne le pense pas, mais j’aimerais avoir le talent de faire comprendre qu’il pourrait être plus, beaucoup plus, tellement plus. Il pourrait, il aurait même dû être ce trait d’union, ce prétexte au rapprochement humain. Je crois que le chien a le pouvoir de rapprocher les hommes. Il aurait pu être un lien social fort. Hélas, il est devenu, malgré lui, sujet de discorde, de guerre et d’humiliation.
Depuis quelques années, nous avons, enfin certains ont, basculé dans les méthodes positives. Assez rapidement, deux camps se sont affrontés et s’affrontent toujours. Les positifs, d’un côté, les « traditionalistes », « les coercitifs » de l’autre ! Termes aussi cons d’un côté comme de l’autre et qui ne veulent rien dire, juste garantir un statut, un positionnement. Mais cette évolution en est-elle une bonne ? Les méthodes positives sont-elles l’avenir ? Non seulement, je ne le crois pas, mais je crois que certains de ceux qui les pratiquent, sont des intégristes, des « canilluminatis » comme je les appelle. Cependant, je pense que pour nos chiens, l’avènement des méthodes positives a été ou aurait dû être un évènement majeur. Pourquoi ? J’entends déjà certains penser ou hurler que j’ai basculé, que j’ai « viré ma cuti », que je suis entré dans le côté obscur de la faiblesse ! A ceux-là, j’ai envie de dire que je suis libre et que je pense par moi-même, que je veux analyser, comparer et chercher le bien en toute chose. L’électrochoc de ces méthodes a permis une chose, celle d’évoluer, de douter et d’entrevoir d’autres horizons. Personne dans le monde canin ne peut dire qu’il n’a pas subit un changement, n’a pas été influencé par l’avènement de cette méthode. J’ai évolué. Que je le veuille ou non, elles m’influencent. Je suis moins dur, plus ouvert, tout en restant vigilant quant à l’intégrisme. Pour moi les méthodes positives sont inadaptables dans la vie de tous les jours. C’est utopique, oui. Mais l’idée a semé le doute. Elle a surtout permis de pointer du doigt, parfois de manière dégueulasse, abjecte, malhonnête, certains, aux méthodes violentes, qu’aucun des deux camps ne cautionnent ! Elle a permis que certains convergent en direction d’un centre, sur le chemin d’un juste milieu. C’est mon cas. Avant, jamais je n’utilisais la croquette. Dernièrement, mes rencontres, certaines de mes positions intransigeantes en la matière, qui ont conduit à des réactions, des échanges écrits, m’ont permis de changer mon fusil d’épaule. Aujourd’hui, j’utilise la friandise. Attention, pas de manière systématique. C’est un outil, qu’il est parfois pertinent d’utiliser. C’est une métamorphose pour moi et une honnêteté de le reconnaître. La lecture, notamment d’« antispéciste » de Caron m’a là encore poussé à l’évolution. Deux types d’antispécistes, les Welfaristes et les abolitionnistes. Les premiers ne sont pas opposés à l’exploitation animale, quand le bien-être de celui que l’on élève est pris en compte. Sauf, qu’il ne l’est pas vraiment. Le philosophe Peter Singer, père de ce mouvement pourrait même accepter de manger du poulet si l’élevage devenait plus « respectueux » envers l’animal. Les abolitionnistes, eux, pensent que l’élevage heureux n’existe pas et refusent toute exploitation animale. Pour le coup, je dirais que les welfaristes sont plutôt modérés. Ils sont prêts à des concessions, à la modération, si l’extrémisme de l’exploitation animale disparait. Je serais donc un « welfariste » du chien. Nous pouvons évoluer. Nous devons évoluer. Mais pas de passer d’un extrême à l’autre en enjambant le juste milieu, qui reste une position plus réaliste de la vraie vie ! L’avenir du chien appartient aux modérés, aux progressistes. L’avenir tout court d’ailleurs. Être du juste milieu permet le dialogue, l’ouverture nécessaire pour recevoir un argumentaire contradictoire. L’extrémisme de part et d’autre ferme toutes les portes de la communication et favorise la déstabilisation, celle des maîtres, qui du coup sont en échec et subissent l’humiliation qu’il confère.
Je voudrais lancer l’idée de la pré-éducation canine, qui est ce juste milieu. Car il permettrait de donner aux maîtres de bonnes cartes, dès le départ. Le bon choix de la race, du chiot, du professionnel pour l’accompagner. Mais la pré-éducation, vous le lirez dimanche, doit aller plus loin qu’un conseil en amont. Quel est l’argumentaire que l’on m’oppose. « C’est utopique ». Pas plus que de penser que les gens vont continuer de prendre, d’acheter des chiens, qui deviennent un emmerdement supplémentaire, parce qu’ils sont défaillants, neurologiquement instables. Les gens se détourneront du chien. Et compte tenu de la difficulté de la vie, je l’admets volontiers. Le chien doit être un bonheur, un plaisir, pas un problème qui s’ajoute « normalement » aux autres. Les gens veulent des chiens sains. Ils n’ont jamais signé pour devenir l’infirmière de leur bête, qui suit les conseils du docteur ou du rééducateur pour trouver l’équilibre. Jamais ils n’auraient signé pour ça.
On me dit : « Tu ne supprimeras pas la rééducation » ! L’ai-je écrit ? C’est vrai. Seul, je ne suis qu’une bouteille à la mer. Maintenant si tous les professionnels arrêtaient d’être, moi le premier, des gros connards, en voulant tirer la couverture à eux, mais qu’au contraire ils s’en servent pour bien, mieux border les maîtres avec cette même couverture, nous changerions les choses. Dernièrement, l’un de mes amis, m’a dit au téléphone, non sans me raccrocher au nez, que j’avais un égo surdimensionné. Parce que j’essaie de comprendre, de chercher ce qui ne va pas, je me la pète ! Vous croyez que je prends plaisir à invectiver ma profession, à dénoncer ses dérives, à critiquer ses déviances. Mais qui s’y colle.
Tout le monde en accepte l’anormalité. Vous êtes tous résignés, enfin presque. « Nous ne changerons pas le monde » !
Vous pensez à nos gosses, à ceux que vous formez. Quel espoir de vivre de leur métier, quand les gens auront compris qu’ils auront bientôt une chance sur deux, si ce n’est déjà le cas, d’avoir un chien pathologique à deux mois. Et que ne voulant pas se tromper, préféreront ne pas franchir le pas. J’ai plein de maîtres, d’anciens maîtres, qui ne prendront plus de chiens, en souvenir du précédent qui a été difficile à gérer. Ne pas s’unir sur un principe, c’est accepter de dégouter les gens. Parce que nous les dégoutons du chien, qui a été le meilleur ami de l’homme, celui qui a traversé les âges, les époques et que la nôtre, en quelques décennies, est en train de tuer. Certains de mes clients sont désespérés, à bout. Évidemment que je vais les aider et que je vais faire de la rééducation. Un gros connard, oui, mais pas un salaud ! Mais parce que leur détresse me touche, j’ai décidé de me pencher sur ce que nous pourrions faire pour changer les choses. Pour qu’à l’avenir le chien redevienne sûr, une valeur sûre.
C’est utopique ! Voilà votre seul contre argument.
Au lieu d’argumenter « brièvement », aidez-moi, tout courant confondu à faire évoluer les choses, aidez-moi à faire la paix plutôt que la guerre. Devenons des préparateurs. N’acceptons plus d’être seulement des réparateurs. Mais si la guerre est votre raison de vivre, restez sur vos murs et affûtez le tranchant de vos mots, tout courant confondu. Vous vous défoulerez, oui par écran interposé, mais vous creuserez davantage la tombe de ce qui aurait dû devenir notre cause. Je ne compte pas arrêter d’écrire, de chercher, de comprendre. Même si je dois être le seul à y croire.
Je vous souhaite une bonne journée, mes amis. Aujourd’hui, je reçois Jean Claude Labernade, le concepteur de l’obéjump. Non seulement je crois à son invention, à cette discipline, mais je crois sincèrement qu’elle permettra la jonction nécessaire entre les différents courants, qu’elle permettra l’ouverture, qu’elle modèlera le chien de demain ! En attendant, je ne suis ni positiviste, ni coercitif, je lance le mouvement de “l’adaptabilisme”. Je suis donc un “adaptabiliste”, celui qui fait ce qu’il peut, comme il le peut…. On s’adapte quoi!
Etienne Girardet